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Entretien sur le télétravail
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Entretien sur le télétravail

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La pandémie du coronavirus a conduit de nombreuses entreprises à instaurer le télétravail de façon hâtive, sans s’interroger sur les incidences que cela implique. Or, cette forme de prestation requiert une législation tant au niveau des établissements publics que des acteurs du privé. Pour en savoir davantage sur le télétravail au Sénégal ainsi que sur le cadre juridique qui l’entoure, nous interrogeons M. Alioune Fall, Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale et Enseignant-associé à l’Université numérique Cheikh Hamidou KANE (UN-CHK).

Bonjour M. Fall. Quelle définition donne-t-on au télétravail ?

Aussi simple que le mot est composé : télé signifie distance et travail doit être entendu comme la prestation due par le salarié dans le cadre de sa relation de travail. Donc le télétravail consiste pour le travailleur à s’acquitter de son obligation vis-à-vis de l’employeur dans un espace de travail plus ou moins éloigné de son poste de travail habituel, généralement à son domicile ou résidence. Vous savez, le milieu de travail est en principe situé dans les locaux ou les installations de l’entreprise. C’est pourquoi, dès lors que le travailleur peut exécuter ses taches par divers outils techniques et technologiques, à partir d’un lieu autre que son poste habituel de travail, on peut parler de télétravail.

Y a-t-il une législation qui l’encadre au Sénégal ?

Oui bien sûr, le Code du Travail (rire). En ne l’excluant pas de son domaine d’application, le code du travail l’encadre en ce qu’il consiste en une prestation demandée par l’employeur et rémunérée. Je sais qu’on s’attend souvent à ce qu’on désigne un texte spécifique qui ne traite que du télétravail mais la méthodologie est autre. Posons-nous la question de savoir si, telle que la relation de travail est définie, y a-t-il un élément qui permet d’exclure le télétravail tel qu’il se fait ? La réponse est évidemment NON. Alors comme on ne peut distinguer là où la loi ne distingue pas, il faut conclure qu’au même titre que le travail exécuté dans l’entreprise, le télétravail est régi par le code du travail et ses textes d’application. Il ne s’agit ni d’une prestation de service ponctuelle, ni d’une modalité d’organisation de la durée légale de travail, mais juste d’un aménagement de l’espace de travail.

Le télétravail comporte des risques sur le plan sanitaire avec la surexposition aux écrans, aux maladies liées à la sédentarité, les mauvaises postures qui peuvent entrainer des douleurs dorsales Quelle est la responsabilité de l’entreprise face à ces conséquences relevant du travail à domicile ?

Je vais commencer par le dernier élément de votre question : la responsabilité de l’entreprise. Déjà l’employeur à une responsabilité de plein droit pour tout ce qui concerne la santé et la sécurité au travail. Alors travailler à domicile ou à un autre lieu différent du poste habituel de travail n’enlève pas à l’employeur cette responsabilité. Maintenant, il faut dire que dans le cadre du télétravail, l’employeur ne maitrise pas forcément les conditions dans lesquelles, le travail demandé lui est rendu. Si c’est dans l’entreprise, les postes de travail sont organisés de manière à prendre en compte les questions d’ergonomie et de posture. Ce qui n’est pas forcément le cas au domicile du travailleur qui n’est peut-être pas aménagé pour abriter un espace de travail. Normalement, le temps d’exposition du travailleur à un risque social dans son entreprise ne diffère de celui de son domicile car, je vais le redire, le télétravail est un aménagement de l’espace du travail et non du temps de travail. Donc toute exposition susceptible d’entrainer un malaise ou une maladie du travailleur doit interpeller l’employeur ; que ce soit dans ou en dehors de l’entreprise.

Quelles sont les dispositions prévues par le code du travail en cas d’accident de travail à domicile ?

L’accident de travail est défini par l’article 33 du code de la sécurité sociale comme un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, au cours du trajet entre le domicile du travailleur et son poste du travail et inversement et pendant les déplacements professionnels effectués par le travailleur à la demande de son employeur.

Au regard de cette définition, un accident survenu à domicile pendant les heures de télétravail constitue un accident de travail car, dans le principe, c’est un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail.  Il appartient à l’organisation chargée de réparer cet accident de travail en l’occurrence la Caisse de Sécurité sociale d’apporter la preuve irréfutable qu’il ne s’agit pas d’un accident de travail. L’argument selon lequel, l’accident se passe en dehors de l’entreprise n’est pas opérant.

En résumé et comme je l’ai déjà dit, le télétravail ne peut être exclu des carcans définitionnels de la législation sur le travail et la sécurité sociale. Cela dit, il est possible de mieux l’encadrer aux fins de dissiper les incompréhensions. Et je pense que la pandémie nous offre le prétexte pour amener davantage de précision sur ce phénomène qu’est le télétravail et sur bien d’autres méthodes apparues à la faveur des nouvelles technologies.

Le télétravail induit une baisse des charges (eau, électricité, connexion) de l’employeur qui sont reportées sur les charges personnelles de l’employé qui reste chez lui. On a aussi constaté depuis le début de la pandémie, que beaucoup de travailleurs se sont abonnés ou ont modifié leurs formules d’abonnement à internet pour pouvoir travailler correctement. Existe-t-il des indemnités de compensation pour cela ?

Peut-être bien qu’il en existe dans certaines entreprises mais ces indemnités n’ont pas alors de sources règlementaires. Il est vrai que l’exercice d’une activité économique nécessite des intrants comme l’eau, l’électricité, l’espace, le mobilier, les consommables informatiques, la connexion internet etc. Ainsi, le télétravail s’il permet de se passer de certaines charges ne fait pas pour autant l’économie d’autres. Il reste que les coûts peuvent être transférés de l’employeur vers le travailleur. Ce dernier utilise son espace qu’il a construit ou loué pour y vivre, il utilise son abonnement électrique et internet etc. Que faut-il faire face à cette situation ? Je suis d’accord que l’employeur compense un peu les charges que le télétravail induit mais mon adhésion à cette idée ne suffit pas, il faut un fondement légal pour que le travailleur puisse réclamer cette compensation à juste titre. C’est dans ce sens que je disais tout à l’heure qu’on peut mieux encadrer le télétravail et prendre en charge certaines problématiques légitimes.

Avec le télétravail, il est constaté que les travailleurs dépassent largement les horaires de travail habituels. Comment la question du pointage et des heures supplémentaires est gérée à ce niveau ?

Je le dis encore les heures de travail sont les heures de télétravail, sauf volonté contraire. Cela m’amène à préciser que les principes de la rémunération majorée des heures supplémentaires restent applicables. Tout ce que je peux dire c’est que le télétravail offre plus de flexibilité. On peut se demander pourquoi les travailleurs dépassent les horaires ? Préfèrent-ils renoncer à la rémunération des heures supplémentaires pour rester en télétravail ? Il faut répondre à ces interrogations pour mieux cerner le problème.

Pour ma part, je préfère rester dans le principe d’autant plus que certaines entreprises faisant recours au télétravail sont en mesure de vérifier, avec des outils technologiques, si le travailleur s’est rendu disponible durant l’horaire de travail.

Le droit du télétravail est-il sensible aux aspects familiaux ? Par exemple la négligence que subissent les enfants obligés de se tenir à l’écart, ou encore les conditions de travail inadaptées pour certains vivant  au sein de familles nombreuses ?

Elle est là la difficulté. Il s’agit d’être à la maison physiquement tout en étant pas là. Difficile à faire comprendre à la famille. Déjà, vous partagez cet espace et en essayant de les tenir à l’écart pour ne pas déranger votre concentration, vous piétinez la liberté des membres de votre famille. Quand la personne vit seule c’est moins compliqué.

Alors on s’accorde à dire qu’il n’est pas évident que les membres de la famille comprennent l’idée qu’on peut rester à la maison tout en étant indisponible pour certaines sollicitations de la famille. Cela demande un peu de sensibilisation.

Maintenant que vous parlez du « droit du télétravail », je peux vous dire que sa spécificité n’est pas suffisamment prise en charge par la réglementation pour qu’on puisse en parler ainsi. La nuance a toute son importance.

Quel est votre dernier mot ?

Je vous remercie de l’intérêt que vous portez au travail surtout dans ce contexte difficile où tout le monde se pose des questions sur leur travail. Je vous félicite et vous encourage pour toutes ces initiatives.

Télécharger la version pdf de l’entretien

Entretien réalisé par Garmy SOW

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