> >
Entretien avec Dr Abdoulaye BOUSSO (première partie)
>

Entretien avec Dr Abdoulaye BOUSSO (première partie)

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email
Entretien avec Dr Abdoulaye BOUSSO, Directeur du Centre des Opérations d’Urgence sanitaire (COUS) sur la gestion de la pandémie du Coronavirus au Sénégal. 

La pandémie de la Covid-19 a impacté le monde, entrainant des bouleversements tant du point de vue économique que sanitaire. Pour mieux comprendre son mode de prise en charge, ses perspectives d’évolution et l’implication du Sénégal dans le suivi épidémiologique mondial, « Avis d’Expert » reçoit le Docteur Abdoulaye BOUSSO, actuel Directeur du Centre des Opérations d’Urgence sanitaire (COUS). Dr BOUSSO est un expert en gestion des urgences et catastrophes sanitaires. Il est aussi expert auprès de l’OMS pour le Règlement sanitaire international et pour le Développement des Centres d’Opération d’Urgence de Santé publique. Titulaire d’un double diplôme en chirurgie orthopédique et traumatologique et en gestion des finances publiques, il dirige le COUS depuis le début de la crise, organe au cœur de la stratégie de lutte contre la pandémie au Sénégal.  

Bonjour Docteur. 

Vous avez été révélé au public sénégalais, ainsi que le Centre des Opérations d’Urgence sanitaire que vous dirigez avec l’avènement de la pandémie du coronavirus. Nous allons tout d’abord parler du COUS. Pouvez-vous nous faire l’historique du centre, nous parler de ses missions ?

« L’idée était de créer une entité qui puisse se consacrer aux urgences, permettant ainsi aux autres départements et services du ministère de la Santé de continuer à fonctionner normalement. »

Le Centre des Opérations d’Urgence sanitaire est une leçon apprise de l’épidémie d’Ebola qui a sévi en 2014 ; il a été créé le 1er décembre 2014 par l’ancienne Ministre de la Santé, le Professeur Awa Marie Collé SECK.  C’est une leçon apprise qui partait du principe qu’il nous fallait une structure permanente qui pouvait gérer les urgences 24h/24 et 7j/7. Parce que, même si on avait qu’un seul cas pendant la période « EBOLA », l’ensemble du ministère était mobilisé et ce n’était pas une bonne chose, parce que cela mettait en veilleuse l’ensemble des projets et des programmes. Donc, l’idée était de créer une entité qui puisse se consacrer aux urgences permettant ainsi aux que les autres départements et services du ministère de la Santé puissent continuer à fonctionner normalement. C’est donc cette réorganisation interne qui a motivé la création de ce centre.

Quelles sont ses missions ?

« Beaucoup pensent que nous sommes uniquement dans la réponse, mais le COUS intervient avant, pendant et après la crise. »

Les missions sont très vastes. Il est vrai que beaucoup pensent que nous sommes uniquement dans la réponse. Effectivement on nous entend que quand il y a un évènement de santé publique, mais ce qu’il faut savoir, c’est que le centre intervient avant la réponse. Donc, nous intervenons dans la préparation, c’est-à-dire toute la partie de l’identification des risques, des ressources, dans l’élaboration de plans, des procédures, la formation du personnel, des exercices de simulations, etc. C’est pour dire que nous sommes d’abord dans l’anticipation. Maintenant, quand la crise survient, nous coordonnons la réponse opérationnelle au niveau du territoire. Nous intervenons également après la crise, parce que nous participons à ce qu’on appelle la « phase de rétablissement », c’est-à-dire le retour d’expérience. Donc, nous évaluons tout ce qui a été fait pendant la crise : les stratégies et les procédures qui ont été élaborées et appliquées, en tirant les conclusions qui permettront d’éviter d’avoir les mêmes difficultés, en cas de nouvelle crise. 

Avez-vous des antennes régionales ?

« Nous nous appuyons sur les quatorze (14) régions médicales, qui sont superposées aux régions administratives. »

Nous n’avons pas d’antennes dans les régions. Nous avons pris l’option d’avoir une structure nationale. Le Sénégal n’est pas très grand. Nous nous appuyons sur les quatorze (14) régions médicales, qui sont superposées aux régions administratives.  Donc ce sont les équipes de région que nous renforçons en termes d’infrastructures, de formation, pour éviter de dupliquer le système.  Et un centre des opérations coûte cher. Celui-ci a coûté près de 2 millions de dollars en termes de construction et d’équipements.  Donc, ce n’est pas très évident de pouvoir le démultiplier. Et comme je l’ai dit, le Sénégal n’est pas très grand. Même en 6h ou 7h de voiture, nous sommes à n’importe quel point sur le territoire et en une heure par voie aérienne à partir de Dakar. Donc, nous pouvons appuyer les Régions pour pouvoir mener les réponses.

Comment définissez-vous une urgence sanitaire ?

« L’urgence médicale est une composante de l’urgence sanitaire. »

Il s’agit d’une question importante. Parce que il y’a beaucoup de confusions entre l’urgence sanitaire et l’urgence médicale. D’ailleurs, au début de la création du centre, certains faisaient la confusion, en se demandant pourquoi avoir le Centre d’Opération d’Urgence sanitaire, car on a déjà le SAMU. Mais il faut savoir que c’est complétement différent. L’urgence sanitaire est beaucoup plus globale. Elle n’englobe pas que le volet médical, c’est-à-dire la gestion du malade. C’est avant, pendant et après la maladie. L’urgence sanitaire entraine une réponse multisectorielle et multidisciplinaire, impliquant beaucoup de spécialistes qui prennent en compte, sur le plan médical, les malades ; mais aussi, au-delà du malade, l’impact que cela peut avoir sur la famille et la société.  Donc, l’urgence sanitaire est beaucoup plus large. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’urgence médicale est une composante de l’urgence sanitaire.

A partir de quel moment décrétez-vous l’urgence sanitaire ?

C’est en fonction de l’intensité. Il y a aussi d’autres indicateurs, notamment la gravité, la contagiosité et l’étendue de l’évènement qui font dire qu’on est dans une urgence sanitaire. Dans le cas de la Covid-19, son caractère pandémique et sa contagiosité rapide sont des éléments qui font qu’on la considère comme une urgence sanitaire.         

Comment le COUS intervient-il dans ces situations ?

Notre intervention se déroule pendant la phase de réponse. Comme j’ai dit, on n’avait toute une phase préparatoire. Maintenant la réponse, elle est structurée, et aujourd’hui, dans le monde, l’ensemble des organisations internationales ont validé un type de gestion de la réponse, qui est le système de gestion des incidents, qui est une structuration bien définie, bien hiérarchisée. Le Centre des Opérations d’Urgence sanitaire est l’outil de la réponse. Ce n’est pas le Centre seul qui répond en tant que tel, mais c’est lui, avec les autres secteurs, qui viennent appuyer la réponse. Et donc, l’ensemble de ces outils va être utilisé à travers les équipes d’interventions rapides, à travers les moyens que nous avons développés et les outils que nous avons au niveau du siège. Donc, nous sommes un support de la réponse et nous encadrons la réponse d’urgence. 

Compte tenu de l’état actuel de la pandémie, sommes-nous toujours dans cette situation « d’urgence » ? 

« Même si demain nous n’avions plus de cas au Sénégal, tant qu’il y en aura dans le monde, nous serons toujours en situation d’alerte. » 

Oui. On est dans une situation d’urgence. C’est-à-dire, une épidémie fonctionne de cette manière. Il y’a une phase où les cas commencent un par un progressivement, après on atteint une phase de pic où on a beaucoup plus de cas, et après, les cas diminuent. Pour nous, tant que l’épidémie n’est pas terminée, nous sommes toujours en phase d’urgence, même si aujourd’hui, nous tournons à moins de cinquante (50) cas par jour. La situation au niveau des pays qui nous entourent et au niveau mondial est encore préoccupante, donc à l’état actuel des choses on ne peut pas lever cette situation d’urgence. Même si demain nous n’avions plus de cas au Sénégal, tant qu’il y en aura dans le monde, nous serons toujours en dans une situation d’alerte. 

Ça veut dire que vous êtes toujours sur le qui-vive ?

Ah oui ! C’est encore maintenant qu’il faut garder la mobilisation et les actions. L’épidémie n’est pas encore terminée. Les gens pensent que c’est fini, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes dans une phase assez critique, quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays où les cas ont diminué, et, subitement ont remonté : cette fameuse deuxième vague. Nous avons aussi des manifestations en vue : des manifestations religieuses (l’interview a été réalisée le vendredi 2 octobre 2020), la rentrée scolaire et universitaire.  Donc, nous devons encore garder la vigilance pour ne pas subir cette fameuse deuxième vague. 

Nous allons maintenant parler de la pandémie de la Covid-19. Est-ce -qu’on peut définir le coronavirus comme une grippe sévère ? 

C’est une grippe. C’est une forme de grippe. Le coronavirus existe au Sénégal et partout dans le monde. Ici c’est un nouveau type sur le plan génétique, et c’est là où cela devient préoccupant. A chaque fois qu’on a un nouveau sérotype comme c’est le cas avec la Covid-19, on doit le déclarer obligatoirement à l’OMS. 

D’aucuns disent que c’est cette présence ancienne du virus qui explique le fait que l’Afrique ne soit pas très touchée par la pandémie. 

C’est juste des hypothèses, on ne peut pas le dire de manière formelle. Il a existé au Sénégal et dans d’autres pays du monde. Ce qui n’a pas empêché ces pays d’avoir une vague de contamination. C’est vraiment à vérifier, il faudra le vérifier par des études.

Cette pandémie a bouleversé le monde sanitaire et le monde économique. Le monde moderne a-t-il déjà connu une pandémie avec une telle complexité que celle du coronavirus ? 

«  C’est la première fois qu’on est dans une situation de couvre-feu ou d’état d’urgence pour des raisons sanitaires ; dans plusieurs pays en même temps. »

A ma connaissance, non. En tout cas par rapport au mode d’organisation actuel de ce monde, avec plusieurs millions de cas partout, où on a carrément une mise en jeu de la sécurité nationale, je dirais même mondiale ; je pense que c’est la première fois qu’on est dans une situation de couvre-feu ou d’état d’urgence pour des raisons sanitaires ; dans plusieurs pays en même temps. C’est une situation vraiment exceptionnelle que nous vivons avec ce nouveau coronavirus.

Je suppose que c’est pareil pour le Sénégal ? 

Ah oui. C’est la première fois qu’on vit une telle situation. C’est vrai que le virus Ebola est beaucoup plus dangereux, mortel, mais on a eu un seul cas. Le mode de contamination est différent. Mais avec l’impact de ce coronavirus, c’est la première fois qu’on a au Sénégal un événement de ce type. 

Il a été annoncé il y a quelque temps un changement dans le mode de gestion de la pandémie, notamment sur la baisse du nombre de tests. Qu’est-ce qui justifie ces décisions alors qu’en ce moment, la pandémie était à un stade préoccupant ? 

« Nous avons pris la décision de ne plus détecter les personnes asymptomatiques, pour ne pas surcharger nos services de prise en charge, mais également pour pouvoir mieux gérer nos stocks en réactifs. »

Il n’y a pas une stratégie de baisse du nombre de tests. Vous savez, cette épidémie impose des stratégies dynamiques. Dans un premier temps, nous avions commencé à tester toutes les personnes : les personnes contacts et les personnes avec les symptômes.

Après nous sommes passés dans une phase de croissance de l’épidémie où les cas augmentent. Vous devez gérer beaucoup d’éléments : vos moyens, la capacité de vos laboratoires, la disponibilité des réactifs, etc. Nous avons alors fait un focus sur les patients symptomatiques et les personnes vulnérables. Donc, c’est une stratégie que nous avons développée actuellement ; et qui selon moi, porte ses fruits car nous arrivons à détecter les nouveaux cas, à les prendre en charge et nous avons pris la décision de ne plus détecter les personnes asymptomatiques, pour ne pas surcharger nos services de prise en charge, mais également pour pouvoir mieux gérer nos stocks en réactifs. D’autres font des dépistages massifs et, aujourd’hui, on voit un peu le problème de ces dépistages massifs, parce que, dans certains pays, comme la France ou les Etats-Unis, les résultats sont rendus après 96 heures ou une semaine. Ce qui n’est pas du tout efficace dans la réponse. Alors qu’au Sénégal, nous arrivons à donner les résultats dans les 24 heures. Nous gardons donc cette stratégie de focus sur les personnes symptomatiques et les personnes vulnérables, c’est-à-dire les personnes âgées et les personnes qui ont des comorbidités.

Comment expliquez-vous la baisse du nombre de cas ?

« Les fortes décisions prises par les autorités, l’engagement des différents acteurs et des population y ont contribué»

Il y a plusieurs explications. Déjà, une chose est de reconnaitre qu’il y’a une stratégie qui a donné des résultats, c’est important. Parce que ça fait sept mois que nous sommes dans la lutte. Il y’a des mesures fortes qui avaient été prises dès le départ par le Président de la République sur la limitation des mouvements, l’interdiction des rassemblements, la fermeture des frontières, mais également toutes les stratégies de communication envers les populations, les différentes stratégies développées par la coordination. Ce sont ces stratégies qui donnent actuellement des résultats, qui font que l’on a vu nettement que la transmission est en train de diminuer.  Même si beaucoup de personnes se plaignent du non-respect des mesures barrières, nous on le voit, il y a quand même le respect de ces mesures. Les gens sont plus conscients de la maladie. Même si certains ne font pas le test, s’ils développent les signes, ils ont le réflexe de s’isoler, de se protéger. Je pense que c’est tout cela qui a amené à cette baisse des cas et qui c’est très objectifve actuellement. Il Je dis qu’il y a deux indicateurs qu’il faut voir, sur lesquels, même si certains ont des doutes sur nos chiffres, que nous-mêmes nous n’avons pas de maîtrise, ce sont les cas graves et les décès. On ne garde pas les cas graves dans les maisons, si quelqu’un a un patient qui est gravement atteint, il est obligé de l’amener dans les hôpitaux. Les cas graves diminuent de manière drastique dans nos services de réanimation. Deuxième point, ce sont les décès, on ne peut pas les cacher. Je ne pense pas qu’il y ait une surmortalité actuellement. 

Télécharger la version pdf de l’entretien

Entretien réalisée par Garmy SOW

Chargée de communication externe et digitale 

La deuxième partie de l’entretien sera diffusée le vendredi 23 octobre 2020.

Plus récents

CONTACT
Cité du savoir – Diamniadio, BP 15126 Dakar-Fann Immeuble Ousmane DIOP Lot E1 à côté de la station Elton – Ouest Foire- Dakar, BP 15126 Dakar-Fann
+221 30 108 41 53 – contact@unchk.edu.sn
Foo Nekk Foofu La !

Copyright © 2024 UN-CHK. Tous les droits sont réservés.